Sept milliards de pervers (transsexuels)


They said I couldn’t live as a gay man, but it looks like I’m going to die like one.

Lou Sullivan


Les pédés sont partout. Pas seulement chez les blancs cis bourgeois. Ce qui ne semble pas être un constat difficile à accepter quand il s’agit d’avoir accès à nos culs.

Les pédés cis sont contents de pouvoir nous baiser, mais on doit rester des créatures d’internet et de chambre à coucher. On le ressent bien dans les lieux de sociabilité gay -bars, saunas, assos…- où on aurait l’audace de prétendre exister en-dehors de leurs fantasmes d’encanaillement et d’ouverture d’esprit par le cul. De toute façon on est trans, donc notre « communauté » c’est la « communauté trans » no ? Pas la « communauté gay » qui par définition n’est comprise que d’hommes gay et donc pas de nous puisque nous sommes des hommes trans.

Ce qui est fascinant, c’est que les plus politisés sont capables de dire qu’il y a de la transphobie dans la communauté et que c’est mal, mais semble-t-il toujours en considérant ça comme un problème périphérique. « Ah oui ouloulou ils sont transphobes hein les pédés c’est relou » ok vu mec. On s’en cogne que tu compatisses en fait. Tant que tu continues de considérer que les pédés transphobes font quand même plus partie de ta communauté que les pédés trans, ça ne fera pas une grande différence pour moi.

Bien sûr qu’on ne me voit jamais en soirée, en réu, en manif. Il faut voir l’accueil quand on tente une sortie hors du milieu « meufgouinetrans » qui nous est assigné (c’est notre habitat naturel semble-t-il, d’ailleurs il y a trans dans le nom).

Encore une fois, il va falloir expliquer que « transphobe » ce n’est pas forcément casser la gueule aux gens ou leur interdire l’accès à l’événement. C’est, en fait, tout ce qui nous empêche d’exister tels que nous sommes. Et on ne peut pas exister en étant traités comme des outsiders perpétuels. Comme des « les filles », des « vous êtes là pour quoi ? », des « vous vous rendez pas compte de ce que c’est la communauté gay ».

On ne peut pas se dire qu’on a qu’à y aller et voir ce qui se passe, quand tous les mecs qu’on chope sur internet insistent que quand même, on doit avoir du mal à pécho, heureusement que moi je suis ouvert d’esprit. C’est évident, on a compris bien avant d’envisager franchir les portes du club ou de l’AG qu’on y aurait de toute façon pas notre place. Qu’il faudrait au minimum être stealth pour ne pas être dévisagé et méprisé.

Il m’a fallu plus de vingt ans pour comprendre que j’étais un mec, parce que j’étais attiré par les hommes. J’ai bien intégré que pour la société, un pédé n’est pas un vrai mec. Alors aujourd’hui, rien ne me dit plus que je ne suis pas un vrai mec que la transphobie des pédés.

Soins pré et post mammectomie par les plantes

Colin a écrit ce texte que je publie ici pour qu’il soit facilement accessible.

 

Je partage ici ma petite expérience et un mélange d’infos sur la préparation et la convalescence d’une mammectomie par des soins naturels. Je me base notamment sur le zine Transcare. Ca peut être compliqué de s’y retrouver donc je liste notamment ce que j’ai utilisé.

L’idée est de faire au mieux, comme on peut.

Attention !

  • Rien ne peut se substituer aux prescriptions médicales

  • J’y parle beaucoup de bouffe, le but ici n’est pas de culpabiliser les personnes ayant des TCA

  • Je parle une fois d’homéopathie, le but n’est pas d’ouvrir un débat à ce sujet

A penser avant d’entrer à la clinique :

Tout ce dont tu pourras avoir besoin et qui est habituellement rangé en hauteur : descends-le !

Fais du ménage avant l’opé, tu seras content en rentrant chez toi et tu n’auras pas à t’en soucier ensuite.

Prépare un petit coussin pour le caler sous le dos, ça aide beaucoup pour dormir confortablement !

Prépare des fringues faciles à enfiler et confortables, chemises, joggings, chaussures faciles à enfiler, chemises… (oui, oublie les tshirts quelques temps)

Prépare des pailles, tu seras content de ne pas porter de verre.

Dors bien, repose-toi.

Prépare un peu de nourriture facile à manger, à faire… Des plats au congélateur par exemple.

Des potes près de toi si possible !

Une séance d’ostéo si tu as les moyens/une mutuelle au moins trois semaines avant l’opération ça aide.

Pense à contacter les infirmierEs de ta zone pour les soins post op et prévois quelqu’unE qui pourra porter tout le matériel (les compresses, pansements…) en sortant de la pharmacie.

Si c’est l’été, deux boléros ne seront pas de trop pour faire un roulement et le laver.

N’hésite jamais à envoyer un mail à ton/ta chir si tu as des questions et doutes.

La préparation côté alimentaire :

La semaine qui précède : 5 granules d’arnica en 15ch 1x par jour et 3 fois la veille de l’opé, pour aider le corps à encaisser le choc de l’opération (hématomes, anesthésie…). A prendre à distance des repas ! Ton généraliste peut t’en prescrire.

Des légumes verts, de la vitamine K pour la coagulation ! Epinards, brocolis…

De la nourriture fermentée (et non pasteurisée !) pour les bonnes bactéries (on va te donner des antibiotiques qui abîment la flore intestinale) : du yaourt, du kéfir, du kombucha… (magasin bio)

Pas d’ail les quelques jours avant l’opé, ça fluidifie le sang !

Des infusions :

– du Gotu Kola (ou en gélules) pour les lésions nerveuses (se commande en pharmacie ou sur internet : carethy)

– du curcuma bio (infusion, plus facile à trouver en poudre) et du gingembre (en décoction) pour les vaisseaux sanguins et pour les anti-inflammatoires.

Le tout la semaine qui précède l’opération et une ou deux infusions de chaque par jour.

Juste après l’opération :

Des infusions de menthe poivrée pour adoucir le bidou, perso j’avais mes herbes avec moi à la clinique et je demandais juste de l’eau chaude. Ca soulage aussi les nausées, à noter que le gingembre est très efficace de ce côté aussi mais c’est plus dur de se faire des décoctions à la clinique… (sinon on trouve des pastilles en pharmacie) On m’a proposé des médocs pour soulager les nausées et l’estomac, avec la menthe j’en ai pas eu besoin mais encore une fois, c’est comme tu le sens.

Granules d’Arnica en 30ch, 5 granules 3x le premier jour, puis une fois par jour en 15ch pendant une semaine.

La petite bouffe anti grisaille de la clinique c’est top, fais-toi plaisir si tu peux. Si tu connais ce qui joue sur ton transit, apporte avec toi ce qui va t’aider à bien faire caca, le transit est pas facile les jours après l’anesthésie (moi c’était les noix de cajou, succès assuré).

Et surtout, bois bien. Ca t’aidera à évacuer les produits de l’anesthésie mais on te le rappellera à la clinique.

Quelques rappels sur la clinique : ce ne sera pas tout rose. Peut-être que tu auras mal et dans ce cas les soignantEs t’aideront. Peut-être que tu angoisseras, si tu es entouré c’est chouette, sinon n’hésite pas à exprimer le besoin d’avoir des gens au téléphone, par exemple. Bref, à la clinique tu seras dans le pâté et c’est normal, pense à l’après !

Une fois chez toi :

Encore de la nourriture fermentée, des probiotiques aussi c’est très bien.

Des fibres ! Des légumes, des noix, du riz complet, des fruits… (en smoothie bien frais et avec le petit yaourt qui va bien)

Mange des trucs qui passent bien et qui t’apporteront énergie et protéines (bananes, noix…)

Fais-toi plaisir ! Pendant la convalescence tu prends soin de toi, de ton corps et de ta tête, c’est ton moment à toi.

Côté infusions : passiflore ou camomille pour bien faire dodo, encore du curcuma, et encore du Gotu Kola.

Et enfin, bois bien et dors comme jamais, de toute façon tu devras rester au calme.

Après la fin des soins, quand les incisions sont totalement refermées : crème Homéoplasmine, gel d’aloe vera, huile d’arnica pour passer tout doucement sur ton torse (et plus tard quand tu entameras les massages). Pour les cicatrices qui chéloïdent : huile essentielle de rose musquée et de gaulthérie, pas plus d’1 goutte par cicatrice quand elle est utilisée pure, le mieux étant d’en diluer 1 ou 2 gouttes dans l’huile d’arnica pour masser les cicatrices.

Voilà pour les soins. Globalement il faut se rappeler que ce genre d’opé est traumatisant pour le corps, laisse-lui le temps de se remettre.

Et enfin pour les proches :

Chouchoutez la personne ! Portez les trucs, faites lui à manger, laissez lui aussi de l’espace pour se reposer, passez faire coucou à la clinique, faites-le penser à autre chose. On ne parle que très peu du coup de blues après l’opé, c’est super chouette d’être entouré dans ce cas.

Je rappelle que tout ceci ne se substitue pas à un suivi médical, que rien n’est imposé et que c’est un mélange de conseils pris majoritairement du zine cité au début et tirés de mon expérience perso, et que chacun fait comme il peut.

Bonne opé, bonne convalescence et n’oublie pas, prends soin de toi !

Je suis canon et je vous emmerde

C’est plus facile quand on est beau. Les cis t’adorent, petite chose mignonne et vaguement subversive que tu es. Et puis beau ça veut dire qu’on peut te prendre pour unE cis, alors forcément ça aide au quotidien. De ne pas être vuE comme une monstruosité, ou constamment mégenréE… Il peut même t’arriver de rencontrer des gens qui voudront bien te baiser.

Il faut comprendre la violence de cette société qui ne fait référence qu’à la beauté, à la transition « réussie » d’une personne quand on parle d’elle, et qui en même temps dit toujours qu’être trans c’est forcément être un monstre. Comme le patriarcat classe les femmes cis en baisables ou imbaisables, il classe les trans en « peut passer pour unE cis » et « truc bizarre ». Que le truc bizarre soit grotesque, effrayant, dégoûtant, qu’on le pointe du doigt ou qu’on omette poliment d’en parler. Mais alors ça veut dire qu’en tous les cas on est qu’une enveloppe corporelle, qui ne peut tendre et prétendre qu’à imiter les cis autant que possible.

Et les féministes cis se font un plaisir de se joindre à la danse quand il s’agit de commenter le physique du dernier minet à la mode : déjà, c’est un mec, donc on peut bien en parler dans les termes qu’on veut, ça prouve d’ailleurs qu’on le considère vraiment comme un vrai mec. Et puis, on sait bien que les trans veulent être beaux, ils n’arrêtent pas de poster des photos de leur évolution physique, c’est bien pour qu’on leur dise que c’est réussi, non ? Et puis, dire à quelqu’un qu’il est beau, c’est un compliment non ? Ça devrait faire plaisir. Les principes de base les plus élémentaires du féminisme n’ont plus cours, puisque voyons, on ne parle pas là des sujets du féminisme, mais de ces choses exotiques qui servent globalement à nous donner bonne conscience, soit qu’on est tellement open qu’on trouve même des trans canons, soit qu’on tolère l’existence de personnes non conformes sous l’étiquette body positivity ou empowerment.

Laverne Cox a lancé le #transisbeautiful avec ce discours :

Cela m’a pris des années pour intégrer pleinement que quelqu’un peut me regarder et savoir que je suis transgenre, et que ce n’est pas seulement pas grave, mais beau, parce qu’être trans est beau. Toute les choses qui font que je suis trans de façon unique et belle -mes grandes mains, mes grands pieds, mes épaules larges, ma voix grave- toutes ces choses sont belles. Je ne suis pas belle malgré ces choses, je suis belle grâce à elles.

Mais, de fait, quand on parcourt ce hashtag, on y voit une majorité écrasante de personnes s’approchant ou rejoignant tout à fait les critères de beauté cis. C’est plus facile quand on est beau. Et être beau, c’est avoir l’air cis.

On comprend aisément la rancœur des personnes qui ne peuvent pas s’exposer comme ça sur internet, soit parce que ça provoquerait une marée d’insultes, soit parce qu’elles n’ont pas la confiance nécessaire à force de ne voir que des modèles cisnormés. Et on peut en arriver à croire que les beaux sont privilégiés, que tout va tellement mieux pour eux, presque comme s’ils n’étaient pas trans. En tout cas, on parvient toujours à créer une fracture entre les oppriméEs en se basant sur leur niveau de ressemblance à l’oppresseur.

Une fois, avant de me baiser, un mec m’a dit « en tout cas c’est réussi » et après il a dit « peut-être que je suis bi ». Je suis beau et réussi, mais toujours pas un vrai mec, puisque je transforme les pédés en bis avec ma chatte. Du coup, je n’ai pas envie de dire aux personnes trans qui passent moins bien que moi : ne m’en voulez pas. Mais aux cis qui pensent que je suis « réussi » : c’est vrai, je suis réussi, je suis canon, et je vous emmerde. Sous mes vêtements, dans ma chair, dans mon âme, je suis toujours un monstre, et vous finissez toujours bien par vous en rendre compte et me le rappeler, même si vous mettez des pouces à mes selfies. Je ne veux pas de votre assimilationnisme, de votre norme, je l’accepte à mon corps défendant parce que j’ai été formaté comme vous, parce que je veille à ma sécurité, mais ça ne sera jamais mon idéal politique. Alors pas la peine de me dire que je suis beau, je vous vois tordre le visage face aux trans trop visibles. Et ce sont eux mes frères et mes sœurs.

Pourquoi je ne suis pas transgenre – Max Wolf Valerio

Ceci est une tentative de traduction de ma part du texte « Why I’m not transgender » écrit par Max Wolf Valerio en 1998 et publié sur le (apparemment maintenant défunt) magazine en ligne Gay.com. Je l’ai découvert dans le livre Manning Up qui regroupe plusieurs témoignages d’hommes trans. Il s’agit d’un livre non traduit, édité par Zander Keig et Mitch Kellaway aux éditions Transgress Press, je vous le recommande vivement si vous lisez l’anglais et que vous pouvez mettre la main dessus.

Je ne suis pas « d’accord » ou « pas d’accord » avec le propos de ce texte, certains points me parlent plus que d’autres, mais en tout cas je le trouve très intéressant et il m’a semblé assez important de le rendre plus accessible.

 

Pourquoi je ne suis pas transgenre

Le mot « transgenre » me donne une légère nausée – j’y sens tapie une malveillance mièvre. C’est un mot sûr, gentil, qui rend inoffensif et asexué le terme « transsexuel », comme cet autre affreux euphémisme politiquement correct « moitié »1 rend asexuée la réalité chaude, collante et passionnée d’être l’amant-e de quelqu’un. Je ne voudrais jamais coucher avec une personne appelée une moitié. Ca ressemble à un mot de thérapie ou des alcooliques anonymes, encore ce blabla de psychologie de comptoir qui dilue nos passions et homogénéise nos intentions.

Je n’ai jamais eu l’impression que le mot « transgenre » décrivait le processus très réel et vital de changement de sexe biologique au cœur de la transsexualité. Maintenant, ce mot littéralement désexué (qui enlève le « sex » de transsexuel) est devenu le terme générique pour désigner toutes les personnes qui transgressent ou traversent les limites du genre. Il engendre un panthéon d’identités à rallonge, une hyperventilation de mélanges homme-femme. Ce terme a été créé par Virginia Prince, pour décrire les travesti-e-s homme vers femme qui vivaient comme des femmes la plupart du temps mais ne recouraient pas à une chirurgie de changement de sexe et ne prenaient pas d’hormones. Virginia Prince, un-e travesti-e dévoué-e, n’était apparemment pas très emballé-e par les transsexuel-le-s, et nous appelait ouvertement des « losers ». « Transgenre » est maintenant utilisé pour décrire tout le monde : les transsexuels femme vers homme, les mecs qui apprécient à l’occasion de porter une culotte moulante, les lesbiennes qui se collent une moustache buissonneuse pour un weekend sauvage, et même les lesbiennes cis féminines qui ont du caractère. Il a même été suggéré que le mouvement gay et lesbien dans son ensemble devrait juste s’appeler le mouvement transgenre et oublier les termes gay et lesbienne. Après tout, la raison pour laquelle les gays et les lesbiennes sont opprimé-e-s, selon cette ligne de raisonnement, c’est qu’ils et elles transgressent les limites de genre qui interdisent aux personnes de même sexe d’être mêlées sexuellement, érotiquement ou romantiquement.

Je suis un homme transsexuel et j’accepte à contrecœur l’identification générique de transgenre pour mieux communiquer ou travailler avec les autres. Après tout, je suis déjà dans la catégorie plus vaste des tordu-e-s de l’orientation sexuelle et du genre : les Queers. En fin de compte, il est dans notre intérêt d’essayer de travailler vers des buts communs, comme l’égalité des droits et les bénéfices d’une société juste et équitable.

Cependant, le cœur de mon identité de genre n’a pas changé, c’est mon sexe biologique qui a changé. C’est vrai, je ne peux pas le modifier entièrement, mais j’ai déplacé de façon décisive le curseur de ma biologie de femme vers homme, essentiellement par l’utilisation de testostérone, mais aussi par la chirurgie et le fait de vivre sans équivoque comme un homme au quotidien. Je n’aime pas utiliser le terme transgenre parce qu’il me regroupe avec une quantité d’autres personnes qui transgressent les limites de genre, des personnes qui peuvent en fait avoir très peu en commun avec moi. Si je n’ai rien contre le fait que ces personnes expriment leur genre, j’ai bien une peur réelle : le mot transgenre a le potentiel d’effacer entièrement qui je suis.

« Transgenre » rend mon identité un peu plus acceptable pour certaines personnes. « Transgenre » ne rappelle pas aux gens la découpe et la couture de la chair pendant une opération de changement de sexe. Il n’évoque pas d’images de l’injection régulière de puissantes hormones qui ont fait baissé ma voix, ont modifié la répartition de mes graisses, ont rendu mes os plus massifs et ont fait pousser ma pomme d’Adam. Cette même testostérone qui a fait pousser des milliers de poils épais sur mes jambes, mon abdomen et mon visage, a aussi créé des visions de femmes dans des positions sexuelles variées apparaissant dans mon esprit à diverses heures de la journée. « Transgenre » n’évoque pas ma chirurgie du torse, ou le fait que je compte me faire construire chirurgicalement une paire de grosses couilles de taureau pour remplir mon panier. Pour finir, « transgenre » ne me connecte pas de façon décisive à mes ancêtres spirituel-le-s, les autres transsexuel-le-s de la seconde moitié du vingtième siècle, qui ont enduré l’ostracisme, la solitude et le combat intense pour transformer leurs corps et leurs vies. « Transgenre » ignore les aspects médicaux de ma transition qui m’ont permis de créer ma vie. J’ai fait usage des outils médicaux à ma disposition, contre toutes les attentes et les voix qui m’ont dit que je ne pouvais pas le faire – et que je ne devais pas en avoir envie.

A une époque pas si lointaine dans l’histoire féministe, une femme qui portait des vêtements d’homme s’appelait simplement une butch, et ensuite une femme identifiée femme. C’est-à-dire que si une femme portait ce qui était considéré comme un costume d’homme, il s’agissait maintenant d’un costume de femme, et elle était une femme identifiée femme en le portant. La théorie était qu’en cassant une délimitation de rôle de genre, elle se situait en-dehors du patriarcat – une culture construite par les hommes pour contenir la libre expression de l’identité des femmes. Paradoxalement, cet acte de porter des vêtements d’homme faisait d’elle plus une « vraie » femme qu’une « femme identifiée homme » qui porterait des vêtement traditionnellement féminins. C’est peut-être à cela que pensait Valerie Solanas quand elle a écrit la réplique « je suis tellement femme, je suis subversive » prononcée par son personnage alter ego dans sa pièce Up your ass.

Les temps changent et l’angle d’analyse aussi. Beaucoup de transgresseurs/euses du genre ne se souviennent même plus de cette idée autrefois radicalement féministe mise en avant par les Radicalesbians en 1970.2 Actuellement, la même femme subversive pourrait s’identifier comme « boi » ou comme butch trans FTM, simplement en portant ce même costume. Aujourd’hui, l’acte de transgression du genre fait d’elle une personne transgenre, pas une femme identifiée femme. A la 2ème Femme Conference, une fem non transsexuelle a affirmé qu’elle était transgenre puisqu’elle transgressait les définitions du genre pour les femmes féminines dans la culture hétéro en sortant avec des femmes, et pour les lesbiennes dans la culture lesbienne en ayant une apparence et une garde-robe féminines. L’arène continue de s’étendre comme l’angle d’analyse se déplace.

Je n’ai pas d’argument ou de reproche contre quiconque transgresse une limite quelconque – en fait, c’est quelque chose que je célèbre. Il n’y a rien que j’aime mieux que le chaos et la subversion. Cependant, mon expérience très distincte en tant que personne transsexuelle qui ai subi une transformation biologique dans le but de vivre dans le sexe opposé à celui dans lequel je suis né est en danger de ne plus être entendue. Si transsexuel et transgenre deviennent complètement équivalents, alors en conséquence, mon identité devient équivalente à celle de cette fem génétique non transsexuelle nouvellement déclarée transgenre ou de la lesbienne identifiée boi qui porte un costume à pantalon. Nous pouvons avoir ou non des choses en commun – mais ces personnes ne peuvent pas parler pour moi.

Bien qu’elle soit connectée avec l’expression de genre et enracinée dans le mystère de l’identité de genre, la transsexualité concerne vraiment le miracle plus global du changement de sexe. Anne Ogborn, une de mes pionnières transsexuelles préférées, m’a fait remarqué que les gens ne sont jamais vraiment sûr-e-s de si nous les transsexuel-le-s sommes des révolutionnaires et radicaux enflammé-e-s, ou des complet-e-s réactionnaires. Il y a une tension essentielle et rebelle dans notre décision de changer de sexe biologique qui dépasse l’étiquetage désinvolte. Est-ce que nous adhérons au système de genre binaire ou est-ce que nous transformons les règles dans leur ensemble en prouvant que la biologie exacte d’une personne à sa naissance n’est pas sa destination ou son destin ultime ? Faites votre choix.

Pour moi, le mot transgenre ne véhicule pas assez la magie et le danger associés à la transformation des transsexuel-le-s – le fait que nous changeons de sexe. C’est un concept qui est bien trop irrationnel et improbable pour la compréhension de beaucoup de gens. La transsexualité n’est pas seulement au-delà du vrai et du réel, elle est au-delà du gentil et du poli. « Transgenre » peut être dit en société en toute sécurité. Comme cette autre mode de toujours substituer « sexe » par « genre », le mot « transgenre » adoucit et gomme les aspérités. Il n’est pas aussi menaçant, mais il a aussi moins de poids.

Malheureusement, pour beaucoup de ceux qui s’appellent maintenant FTM, particulièrement ceux qui ont un passé lesbien ou féministe, il y a souvent une honte très palpable dans le fait de devenir un homme. Je suis devenu un homme. J’ai adopté cette identité – pas boi, pas butch trans FTM, aucun de ces mots composés qui combinent homme et femme – je suis un homme. Bien que j’y ajoute l’adjectif transsexuel, ces deux termes ne s’annulent pas l’un l’autre. Je relate non seulement la réalité de mon expérience, mais je prends aussi la pleine responsabilité de ma décision de changer de sexe biologique. Accepter la charge historique et culturelle de la masculinité fait partie de cette responsabilité.

Descendre dans une dimension parallèle qui est remplie d’entreprises risquées et de forces vitales – voilà ce que signifie la transsexualité. Le mot « transgenre » ne touche même pas cela du doigt.

 

1 En anglais significant other « l’autrui significatif » qui est difficilement traduisible autrement que par « la moitié de… » (au sens romantique)

 

2 Sur les Radicalesbians et les femmes identifiées femmes, voir : https://ptilou42.wordpress.com/2012/04/12/the-woman-identified-woman/

De qui le safe a-t-il peur ?

J’ai encore vu un post sur un groupe facebook avec le rituel « si ça va pas ce que je dis je supprimerai, j’espère que c’est pas problématique et HS ».

Il ne faudrait surtout pas déranger. Sur internet mais aussi dans des orgas militantes, il y a plein de gens qui aiment à se dire super radicales, mais cette radicalité doit toujours respecter une ligne politique « safe » pour avoir le droit de s’exprimer. Il faut éviter le conflit à tout prix, et quand on a une divergence d’opinion politique avec quelqu’unE c’est apparemment le drame. Il faut qu’on soit touTEs pile poil dans le bon consensus pour fonctionner. L’affinitaire et le politique sont complètement mélangés, s’il y a divergence on ne peut plus être amiEs, les gens ont peur de s’exprimer, mais peur de quoi exactement ? Il y a apparemment une ombre qui flotte au-dessus des têtes, celle de la disgrâce, de l’exclusion. Alors on contourne le problème, on ne cite pas de noms, de faits, on reste dans le vague, le sous-entendu, le « on » et le « y en a qui ». Personne ne se comprend, tout le monde se sent accuséE, on communique en « bails » et en « shitstorms ».

Et puis la crainte à avoir semble être à peu près la même que l’on ait violé quelqu’unE ou fait une erreur de vocabulaire. Quoi qu’il en soit, on a pas été safe. On va poliment proposer de supprimer son tweet, qu’on ait traité quelqu’unE d’enculé ou juste exprimé une opinion divergente. Tout se vaut, tout est basé sur du ressenti, sur de l’impression. Quels sont les faits ? Qu’est-ce qui se passe concrètement ? On produit tellement de discours, on tergiverse tellement sur les bons mots et la bonne ligne qu’on ne produit pas d’action.

Mais qu’est-ce que « le bon » ? Qu’est-ce que « le safe » ? Quelle est la valeur d’une idée adoptée si elle l’est par conformisme et non par conviction personnelle ? Quel est l’intérêt de convaincre x que « il ne faut pas dire ça parce que c’est mal », si x ne comprend pas le fond de pourquoi c’est mal ? Pourquoi toujours s’excuser de penser, de se tromper ? Penser par soi-même, c’est construire une pensée, c’est évoluer, confronter sa penser aux autres. Exister, c’est se tromper. Arrêtez d’être désoléEs d’exister. DésoléEs par avance de la potentielle erreur que vous allez peut-être faire. Vos excuses n’ont plus aucune valeur. On ne peut pas toujours refuser de se positionner sous prétexte qu’on risque de dire la mauvaise chose, de se rendre compte après coup qu’on aurait plutôt dû se positionner dans l’autre sens. Vous n’échapperez pas aux reproches. Oui quand tu dis de la merde on te le reproche. Oui des fois ce sont les reproches qui sont à côté de la plaque. Mais si tu évites consciencieusement la confrontation et les reproches, comment veux-tu évoluer ? Comment veux-tu savoir toi-même qui tu es ? Comment construire une dynamique politique pertinente et efficace ?

A la fin ce ne sont pas ceulles qui ont le plus raison qui l’emportent, ce sont ceulles qui gueulent le plus fort. L’action politique n’est pas quelque chose de propre, de net. La confrontation est une belle chose. Tenir à ses idées est une belle chose. Et oui, chez les queers, les TBPG, les trans, les féministes, on est casséEs, on en chie, et la lutte est personnelle. Elle touche notre existence, notre histoire, notre intimité. Alors on s’énerve. On gueule. On insulte, parfois. Même quand on essaie au maximum d’être bienveillantEs, parce qu’être bienveillantE c’est pas fermer sa gueule et être d’accord avec tout le monde.

Mon corps est un champ de bataille

Vers l’âge de trois mois, mon corps s’est retrouvé entièrement couvert de plaques d’eczéma. Mes parents ont essayé ce qu’ils pouvaient pour me soigner, j’ai vu divers médecins, une magnétiseuse, je suis allé en cure thermale… Ca s’est calmé vers mes deux ans, je n’ai donc aucun souvenir conscient de cette période. Mais récemment mes parents m’ont raconté que j’avais une fois passé une nuit entière éveillé à pleurer de douleur, parce que les plaques sur mon corps étaient entièrement surinfectées. Sur mes photos d’enfance, j’ai le visage rouge, soit de l’eczéma soit de l’éosine qu’on mettait dessus. En feuilletant mon carnet de santé, j’ai découvert qu’on m’avait prescrit des anxiolytiques vers un an et demi.

L’eczéma n’est jamais complètement parti jusqu’à aujourd’hui. J’ai continué à me gratter, à mettre de la crème à la cortisone parce que c’est le seul truc qui fonctionne à peu près… et à avoir mal.

Contrairement à beaucoup de personnes, et à la grande majorité des personnes trans, je n’ai pas de souvenir particulier de ma puberté. Je n’ai pas vu mes seins pousser avec horreur, je ne me suis pas soudain rendu compte que j’étais une fille. Je me souviens juste de mes premières règles, et que c’était un truc de grand(e). Je crois qu’étant ado, l’apparence de mon corps était tout à fait secondaire. Mon rapport à mon corps, c’est qu’il était juste là, à tomber malade et à être fatigué. Qu’il soit beau ou moche ne changeait rien à cet état de fait.

Faisons un bond en avant, j’ai 23 ans et je commence à prendre de la testo. Je me pose beaucoup de questions, pourquoi je fais ça ? Est-ce que je fais bien ? Je ne trouve pourtant pas mon corps horriblement moche, difforme, inadapté. Simplement je ne comprends pas pourquoi les gens persistent à m’appeler madame alors que ce n’est de toute évidence pas ça. Je ne sais pas si je me trouve beau ou pas. Je ne sais pas si je suis « bien dans mon corps », quelle cruelle abstraction !

J’ai beaucoup douté sur mon parcours en lisant des témoignages de personnes trans dont le rapport au corps me semblait si différent du mien. Ce n’est pas tellement que j’étais à l’aise avec mon apparence, mais ce n’était pas une question que j’étais capable d’habiter. A force de me poser des questions, je ne savais plus qui j’étais, alors j’ai décidé que transitionner me permettrait au moins d’avancer, de voir ce que ça ferait.

Au début j’étais content – excité – curieux face aux changements occasionnés par la prise d’hormones. J’étais pressé aussi, parfois malheureux parce que ça ne semblait pas aller assez vite, parce qu’on m’appelait encore madame. J’avais peur, parce que j’allais faire concrètement face à la transphobie. J’étais fatigué, par le rééquilibrage des hormones, les changements physiques, le stress, la transphobie. Mais je ne comprenais toujours pas vraiment ces récits de personnes trans, qui avec leurs premiers mois d’hormonothérapie, avaient l’impression d’enfin vivre leur vie, d’enfin se reconnaître, d’être soulagées d’un poids… Alors j’ai encore douté. Est-ce que j’avais réellement besoin de ça ? Est-ce que j’allais me rendre compte que mon malaise n’avait rien à voir avec tout ça, et me sentir encore moins bien en modifiant mon corps ?

Faisons encore un bond en avant, plus court cette fois : j’ai 24 ans. Ca doit faire 9 ou 10 mois que j’ai commencé la testo. Et à peu près autant que j’ai commencé une psychothérapie avec (enfin) une psy qui me va. Je commence à habiter mon corps, tout doucement. Je suis heureux des changements que je vois. Je crois même que des fois, furtivement, je comprends le concept de « se reconnaître ». Pour une fois, peut-être la première, c’est moi qui décide de ce qui arrive à mon corps. J’avais commencé cette (ré)appropriation en me faisant percer, et je comprends mieux avec le recul l’importance de cette pratique.

Il était important pour moi d’écrire et de partager cette histoire. Parce que j’ai souffert de ne pas rencontrer de récits de personnes trans qui avaient un rapport à leur corps similaire au mien, façonné par la douleur. Je ne pense pas que toutes les personnes qui ont des maladies chroniques ou des handicaps réagissent comme moi, mais il me semble nécessaire de toujours rappeler la pluralité de nos vies et de nos parcours. Nous ne sommes pas juste « des trans », nous sommes des individuEs complexes, humainEs.

Je ne suis pas transmasculin

Dans une volonté d’être plus inclusif-ve-s je suppose, on emploie souvent les termes personnes transmasculines et personnes transféminines au lieu de mecs trans et meufs trans. Ils ne sont pas censés êtres synonymes puisque les personnes transmasculines par exemple devraient inclure les mecs trans mais aussi des personnes non-binaires tendant vers le masculin. Je n’ai pas vraiment d’avis sur le fait que certaines personnes se disent transmasculines ou transféminines, par contre je commence à être gêné par l’emploi générique de ces termes.

Comme je l’ai mentionné dans mon précédent article, je pense qu’il y a malheureusement une confusion entre manhood et masculinity, qui s’exprime assez clairement dans ce cas (soit entre identité et expression de genre). Pour faire simple, être un homme ce n’est pas la même chose qu’être masculin. En ce qui me concerne, je suis uniquement perçu comme masculin dans la mesure où je suis perçu comme une femme. Mais dans mon statut d’homme, je ne suis pas un homme masculin. Il me semble qu’on touche d’ailleurs ici la limite de l’affirmation qui dit qu’identité de genre et expression de genre n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Dirait-on d’un homme cis avec la même expression que moi qu’il est masculin ? Pour un homme, je suis petit, fluet, j’ai une petite voix, je suis maniéré… pour une femme, j’ai des cheveux courts, du poil au menton, des vêtements larges et une voix un peu basse…

Pour moi, je considère que je suis un mec justement parce que je ne suis pas masculin. Si j’avais pu performer la masculinité dans mon identité de meuf, je n’aurais peut-être pas eu besoin de transitionner. J’espère qu’être un homme perçu comme un homme me permettra d’exprimer ma féminité plus librement, sans me sentir mal à l’aise ou avoir l’impression de jouer un rôle. En clair, c’est le fait d’être un homme qui fait de moi une personne trans, pas le fait d’être masculin. J’ai été assigné meuf, pas assigné féminin(e).

La question qui se pose donc pour moi c’est, qu’est-ce qu’on entend par personnes transmasculines ? A force de m’entendre dire que je suis une personne transmasculine, il me devient difficile d’admettre que je puisse être un mec féminin. Et est-ce que cela signifie que l’on place dans le même groupe social une personne plutôt butch et un mec trans avec un cis-passing mais une expression de genre féminine ? Bien sûr on ne dira pas d’un homme trans qu’il est transféminin, ou d’une butch trans qu’elle est transmasculine, ça n’aurait pas de sens. Mais cela veut bien dire qu’au final, quand on parle de personnes transmasculines, on parle en fait des personnes trans assignées meufs à naissance… et ça revient à classer les gens en fonction de leur assignation.

Bien sûr, le vécu social d’un homme trans efféminé n’est pas le même que celui d’un homme cis efféminé. Mais il est également différent de celui d’une personne non-binaire assignée meuf et tendant vers le masculin. En ce qui me concerne, je ne tends pas vers le masculin. Je tends vers le fait d’être reconnu comme un mec, et de pouvoir exprimer librement mon ressenti de genre sans être constamment invalidé dans mon identité de mec.

J’ai peur que l’utilisation généralisée des termes transmasculinE et transfémininE entérine l’idée qu’être trans, c’est simplement avoir une expression de genre pas tout à fait conforme à ce qui pourrait traditionnellement être attendu de notre genre assigné. Il me semble que cela recrée d’une certaine façon la distinction transsexuelLE vs. transgenre, dont on n’est toujours pas vraiment débarrasséEs, et qui a tendance à muter ces derniers temps en binaire vs. non-binaire. C’est-à-dire que « transgenre » et « non-binaire » deviennent des termes un peu fourre-tout dans lesquels on inclue des personnes qui transitionnent, des personnes qui ne transitionnent pas, des personnes cis qui se travestissent… un magma dont personne ne connaît vraiment la définition. Et les « transsexuelLEs » ou « trans binaires » sont des gens qui se considèrent « 100 % homme ou femme » et transitionnent médicalement dans une stéréotypie de genre. Selon cette dichotomie, je suis « trans binaire ». Pourtant qu’est-ce que j’ai en commun avec un mec trans masculin hétéro « qui a toujours su » ?

En fait mon propos se résume assez simplement : les vécus trans ne sont pas homogènes. On ne peut pas faire comme s’il y avait juste des personnes transféminines d’un côté et des personnes transmasculines de l’autre alors qu’on reconnaît aux personnes cis la possibilité d’une très grande variété d’expression de leur genre.

J’ai bien conscience que mon vécu est minoritaire parmi les mecs trans, mais je ne pense pas que ces généralisations nous servent tellement.

Mecs trans et féminisme

Je suis un mec trans. Et je suis féministe. J’ai été féministe bien avant de savoir que j’étais un mec. Un jour, il s’est trouvé sur mon chemin personnel que transitionner et parler de moi au masculin était ce qui convenait le mieux. Je ne saurais pas dater ce jour, ni dire si j’ai toujours été comme ça, au fond.

Quand j’ai commencé à m’intéresser de près aux théories féministes, j’ai beaucoup apprécié la mise en avant de la féminité comme une valeur positive, et la découverte du concept de sororité. J’étais une adolescente intello qui s’habillait n’importe comment, et dénigrer les signes extérieurs de féminité avait été pour moi un mécanisme de défense contre le rejet qu’engendrait ma non-conformité. C’était d’autant plus facile et naturel que toute la société véhicule l’idée que ce qui s’apparente au féminin est forcément superficiel et faux. Découvrir la solidarité entre opprimées, la possibilité d’être acceptée, m’a galvanisé et m’a poussé à moi-même mieux accepter les autres.

Aujourd’hui, je ne pense plus être une femme. Cela étant dit, c’est ce que j’ai été ou pensé être pendant plus de 20 ans. J’ai appris à avoir peur, à marcher d’une certaine façon, à prendre une certaine quantité d’espace, une certaine quantité de nourriture. J’ai appris la sororité et la misandrie cathartique.

Alors maintenant je vais vous avouer pourquoi j’écris cet article. Autant ne pas trop tourner autour du pot. Il y a beaucoup de féministes qui pensent que, parce qu’on est un homme trans, on appartient à la classe des hommes, soit une classe de privilégiés, qui opprime la classe des femmes. Et cette idée me pose problème.

D’abord, soyons honnêtes, elle m’a posé problème d’un point de vue personnel. En fait, j’ai eu honte de ne pas être une femme. Je sais que globalement, c’est le fait d’être une femme qui est perçu comme honteux, mais m’étant construit justement en opposition à ce diktat, il m’a été très difficile d’admettre que je ne serais plus jamais une « sœur de ». Ç’avait été la première fois de ma vie que je me sentais appartenir à quelque chose, et cela était construit en partie sur un rejet de la masculinité : puisque les hommes étaient nos oppresseurs, nous n’avions rien à faire avec eux, ni pour eux. Et c’est un principe politique qui se tiendrait selon moi s’il ne s’opérait pas un glissement du rejet du groupe « oppresseurs » vers un rejet de la masculinité en tant que telle.

Je voudrais développer cette idée en m’appuyant sur des concepts malheureusement peu traduisibles en français, dont le manque me semble être en partie responsable du problème que je soulève ici. En anglais, on peut distinguer deux mots qui se traduisent par un seul et même mot en français : il s’agit du mot « masculinité » qui recouvre à la fois le concept de manhood et celui de masculinity. De la même façon, « féminité » traduit à la fois womanhood et femininity. En gros, manhood et womanhood pourraient signifier le fait d’être un homme et le fait d’être une femme. Masculinity et femininity pourraient eux signifier le caractère de ce qui est masculin et le caractère de ce qui est féminin. Il me semble que dans certains contextes on pourrait traduire masculinity par « virilité ». Dans certains discours féministes, on retrouve l’idée que la manhood est responsable du patriarcat donc négative en tant que telle. C’est-à-dire que c’est le fait d’être un homme qui serait répréhensible en soi. Or, il me semble que le problème c’est la situation d’oppression, et non la nature du groupe qui se trouve être oppresseur. Si l’on considère qu’il est dans la nature des hommes d’opprimer, est-ce que cela signifie qu’il est dans la nature des femmes d’être opprimées ? En tout cas, il s’agit pour moi d’une vision essentialiste des choses. Bien sûr l’oppression n’apparaît pas d’elle-même par magie, ce sont les hommes qui la créent, mais ils la créent et la perpétuent par la construction d’une masculinity qui serait forte et supérieure. De la même façon, la femininity est considérée comme faible, inférieure, ridicule, mais elle est ainsi considérée même quand elle est portée par un homme : cela se retrouve dans la follophobie, une forme d’homophobie particulière qui vise les pédés efféminés. Mais cela se retrouve aussi dans la transmisogynie : les personnes trans étant toutes perçues par la société cis comme appartenant à leur genre d’assignation, les femmes trans sont vues comme des hommes qui adoptent des caractères féminins, ce qui est inacceptable car le féminin est inacceptable. Les hommes trans sont vus comme des femmes qui adoptent des caractères masculins, ce qui est moins inacceptable car on comprend que tout un chacun devrait désirer le masculin.

Les gens sont apparemment plus titillés par « un homme qui veut devenir une femme » que par « une femme qui veut devenir un homme ». Le premier cas de figure est scandaleux, le deuxième va de soi : les femmes veulent, évidemment, être des hommes et, évidemment, ne le peuvent pas, un point c’est tout ! C’est à l’aune des privilèges masculins dans notre société. -Pat Califia, Le mouvement transgenre

Maintenant, ce que cela signifie pour moi, à titre à la fois personnel et politique, c’est que l’on peut être un homme sans être un oppresseur. Je sais que dit comme ça, ça peut sonner comme une défense sur le mode « non mais moi je suis un gentil », et je reviendrai là-dessus plus tard. Je voudrais d’abord développer une idée qui me semble très importante, et qui semble souvent inaudible quand on discute de ces choses là. Il s’agit de l’idée que les vécus des hommes trans et des femmes trans ne sont pas symétriques. Je m’explique pour les personnes qui ne baignent pas dans les mêmes milieux que moi : lorsqu’un homme trans évoque sa socialisation de femme ou son statut de non-oppresseur, il arrive souvent que des personnes interprètent ses propos comme sous-entendant que les femmes trans ont ou ont eu une socialisation d’homme et de ce fait un statut plus ou moins privilégié. Pourtant, je considère que dire l’un n’implique absolument pas de dire l’autre. Déjà parce que je ne crois pas que les premières années de la vie de quelqu’un prédestine cette personne à être toujours identique. Ce n’est pas parce que les hommes trans ont eu une expérience de socialisation de femme au début de leur vie que celle-ci est significative politiquement ; c’est parce qu’ils ont eu cette expérience tout court. En terme de vécu, je pense que le statut d’oppriméE est celui qui prend le dessus, quel que soit le moment où on l’a connu, car c’est un vécu traumatique et qui ne peut pas être effacé par un confort retrouvé. De plus, je pense que la misogynie de la société fait que le statut de femme est perçu comme quelque chose dont on ne revient pas. On ne revient pas d’avoir été une femme à un moment de sa vie, car on est définitivement souilléE par la féminité. La figure de la femme est socialement la figure pénétrée, et une fois la virginité « perdue », elle ne peut jamais être retrouvée : le corps pénétré est souillé sans retour possible. A l’inverse, il est très facile de perdre son statut d’homme, puisque la féminité tache autant.

Une classe de bâtards

Finalement, qui est-on politiquement quand on est un mec trans ? A quelle classe appartient-on ? Encore une fois je trouve qu’on opère un glissement quand on met les hommes trans dans la classe des hommes d’un point de vue du patriarcat, car il s’agit de la classe des oppresseurs. Certes nous sommes des hommes, mais sommes-nous les oppresseurs des femmes de la même façon que les hommes cis ? Avons-nous les moyens concrets d’exercer cette oppression ? Avec un cis-passing1 on obtient un certain nombre de privilèges masculins, essentiellement dans l’espace public, mais cela n’empêche pas les gens et les institutions qui nous savent trans de nous considérer comme des non-hommes. Une autre chose qui me dérange dans cette considération c’est au final le passage à la trappe de la transidentité comme facteur d’oppression. Puisque tous les hommes appartiennent à la même classe d’oppresseurs et que toutes les femmes appartiennent à la même classe d’opprimées, les femmes cis sont unilatéralement opprimées par les hommes trans sur l’axe du genre. On en oublie leur privilège cis, qui est abordé uniquement quand on parle spécifiquement de transidentité (autant dire jamais). Selon moi on ne peut pas considérer qu’il y ait deux axes de l’oppression de genre, un axe homme-femme et un axe cis-trans, qui fonctionneraient distinctement. Donc je ne pense pas qu’on puisse se contenter de dire que les hommes trans oppriment les femmes cis en tant qu’hommes et sont opprimés par elles en tant que trans. Il me semble que la réalité est plus complexe et enchevêtrée. Mon identité politique est une identité de mec trans, et cela fonctionne uniquement quand les deux termes sont attachés, je ne suis pas un mec d’un côté et trans de l’autre. D’une façon plus générale, je trouve que cette façon de découper les choses peut invisibiliser les privilèges de certaines femmes straight sur des hommes queer efféminés -d’autant plus quand ils sont trans. D’ailleurs être un pédé trans, ce n’est pas la même chose non plus politiquement que d’être un pédé cis… Enfin tout ça pour dire que la réalité me semble beaucoup plus complexe que la posture « tous les hommes oppriment toutes les femmes unilatéralement et vos gueules ».

Et sur ce « vos gueules » j’en arrive au point suivant que je veux aborder. On dit régulièrement aux non concernéEs par une oppression de la fermer quand on aborde ce sujet. Pourtant, lorsqu’il s’agit de déterminer la place politique des hommes trans on nous donne assez peu la parole (oui c’est un euphémisme). Que ce soit pour faire de nous des oppresseurs qui n’ont tout simplement pas voie au chapitre ou nous considérer comme de gentils agneaux tous doux, il semblerait que les femmes soient les plus à même de porter ce « débat ». Le problème, c’est que cela est symptomatique de la façon dont la société traite généralement les hommes trans. Si l’on regarde la place que nous avons dans les médias, quand elle existe, il s’agit d’une image soit sexualisée portée par des mannequins à poil, soit d’une infantilisation désexualisante. Dans tous les cas, c’est toujours notre image et jamais notre parole qui est mise en avant. Si les hommes cis doivent la fermer quand on parle féminisme, c’est parce qu’ils ont la parole partout ailleurs dans la société. Or, ce n’est pas le cas des hommes trans. Si on nous refuse la parole aussi dans les espaces queer féministes, où l’avons-nous ? Et quand je dis « la parole », je parle d’une parole qui vise à exposer les spécificités de nos vécus, nos positions sur la masculinité, la transphobie… et pas une parole uniquement sur des sujets généralistes. Pas non plus une parole qui reste entre nous.

Au final, la seule existence des hommes trans dans les échanges concernant le féminisme, c’est quand il s’agit de décider si nous sommes des oppresseurs. C’est un débat qui est évidemment toujours amené par des personnes qui ne sont pas des hommes trans, et qui nous met dans une situation de devoir nous défendre. Donc les mecs trans sont uniquement visibles dans le débat politique quand ils défendent leur propre position. Quelle image ça grave dans les esprits ? On dirait que les mecs trans sont sur la défensive, qu’ils font du « not all men »2, donc c’est bien la preuve qu’ils sont comme les mecs cis ! Pourtant, c’est logique de nous retrouver dans cette position si nous sommes suspects a priori, et que la seule option qui est disponible pour nous est d’accepter ou de contester une opinion venant de l’extérieur, selon laquelle pour certaines nous sommes tout simplement des oppresseurs, pour d’autres pas. Au final, peu importe que l’issue du « débat » soit de dire que nous sommes des oppresseurs ou non. Le problème c’est l’existence même de cette discussion portée par des personnes qui ne sont pas nous et ne connaissent pas nos vécus. Encore une fois, nous ne sommes pas des hommes cis. Nous vivons une oppression de genre et nous avons des choses à en dire. Quand nous expliquons que non, nous ne sommes pas des oppresseurs ou des privilégiés au même titre que les hommes cis, il ne s’agit pas de venir chouiner qu’on est gentils. Nous savons bien que ce n’est pas une question d’être gentil ou pas. Il s’agit simplement de rappeler une réalité politique. Cela n’empêche pas l’existence de mecs trans violents ou misogynes. Seulement, notre classe de genre, celle des hommes trans, n’est pas fondée sur la misogynie.

Donc, on nous impose ce sujet de discussion qui pour la plupart d’entre nous n’en est pas un. Et si beaucoup d’hommes trans s’en tamponnent du féminisme, il en est de même pour beaucoup de femmes. Mais les hommes trans qui sont présents dans les espaces féministes où ces discussions ont lieu aimeraient certainement avancer un peu et parler d’autre chose plutôt que de perpétuellement avoir à se justifier sans être vraiment écoutés.

Maintenant, je sais que les meufs trans sont aussi assez généralement considérées comme des personnes qui ne peuvent pas être sujettes du féminisme, et qu’elles doivent se justifier sur le fait qu’elles sont bel et bien opprimées. Cela étant dit, je ne veux pas entrer dans une rivalité entre mecs trans et meufs trans pour déterminer qui est le plus opprimé et qui est le plus féministe. Je suis assez agacé quand aborder le sujet de la transmisogynie devient une occasion de plus de tacler les mecs trans, comme si elle était de notre seul fait. Il semblerait que puisque nous ne subissons pas la transmisogynie, nous devons en être coupables. Seulement, vous savez qui d’autre ne la subit pas ? Les personnes cis. Et je suis assez consterné et attristé de voir qu’une fois de plus elles s’en sortent à bon compte, puisque tant que nous sommes occupéEs à nous déchirer entre nous, nous ne prêtons pas attention aux personnes cis et à l’oppression qu’elles exercent sur nous. Et nous ne prêtons pas attention aux conditions concrètes qui déterminent nos existences, nos difficultés… chaque personne trans a un vécu différent de la transphobie et du sexisme en fonction de multiples facteurs qui ne peuvent pas se résumer au fait d’être un homme ou une femme. Mais une chose est certaine, nous avons tous le même intérêt à lutter contre cette transphobie et ce sexisme.

1
Le cis-passing est le fait pour une femme trans d’être perçue physiquement comme une femme cis, et pour un homme trans comme un homme cis.

2
Quand on parle d’une oppression systémique, on voit souvent des personnes appartenant au groupe oppresseur individualiser le discours en faisant comme si on parlait d’eux personnellement. Cela se traduit souvent quand on parle de violences sexistes par le fait de dire que « tous les hommes ne sont pas comme ça », alors que ce n’est pas la question. Quand on parle de faire du « not all men », soit « pas tous les hommes », il s’agit de désigner cette rhétorique.